Le pouvoir local et le nouvel ordre politique mondial

Source: lematin.ma
Le quatrième Congrès de l'organisation des Cités et gouvernements locaux unis (CGLU) qui s’est tenu à Rabat du 1er au 4 octobre sous le thème «Imaginer la société, construire la démocratie», et qui a coïncidé avec la célébration du centenaire du mouvement municipal international, a été un succès. Comme le soulignent les représentants d’ONU femme, du PNUD et Alioune Badiane, directeur des projets et programmes d’ONU Habitat, que nous avons interrogés : «Rabat fera désormais partie des étapes qui vont marquer d’une pierre blanche cette évolution du mouvement municipal mondial et de la démocratie locale».
Ce congrès, qui a permis à l’Afrique d’accueillir le monde à Rabat, a été une occasion pour le Maroc de réaffirmer sa dimension africaine au niveau des gouvernements locaux et des collectivités locales. Ceci prend toute son importance quand on sait que Le CGLU, créé en 2004, est le principal organisme de représentation des gouvernements locaux auprès des Nations unies qui le considèrent comme une instance consultative pour les questions de gouvernance. Selon le rapport Cardoso, «à une époque où la décentralisation contribue tout autant que la mondialisation à dessiner le paysage politique, il est important que l’ONU associe les représentants élus et les autorités au niveau local. Ces derniers, qui traduisent le sentiment de l’opinion publique, pourraient aider les Nations unies à identifier les priorités locales, à mettre en œuvre des solutions et à nouer des liens étroits avec les citoyens.
Le CGLU est donc le porte-parole unique des villes qui œuvre pour la décentralisation au service des citoyens et pour la diplomatie des villes et la coopération décentralisée. Les partenariats noués avec des organisations mondiales comme la Banque mondiale, le Glocal Forum, ONU-Habitat, toutes représentées à Rabat, en ont fait une instance incontournable. C’est dire l’importance du quatrième Sommet des dirigeants locaux et régionaux qui s’est tenu à Rabat, mettant en avant un seul agenda mondial de développement durable post-2015» et la nécessité d’œuvrer pour un monde pacifique.
Transformé en village planétaire, Rabat aura été pour 4 jours un formidable laboratoire d’échange d’expériences, de partage de stratégies dans la gestion locale à un moment où la crise s’intensifie et fait des maires et des élus ces «capteurs des souffrances sociales» que sont la pauvreté et la marginalisation. C’est le maire d’Istanbul, Kadir Topbas, qui a été réélu pour un deuxième mandat comme président du CGLU, lors de la réunion du Conseil mondial de cette organisation. Cette réunion a été marquée par l'élection de M. Oualalou au poste de trésorier de CGLU, et c’est Bogota, la capitale de la Colombie, qui a été choisie pour accueillir en 2016 le cinquième Congrès mondial de CGLU.
Entretien avec Lakshmi Puri, directrice exécutive adjointe d’ONU Femmes
«Améliorer le leadership des femmes et leur participation politique»
La participation des femmes est essentielle pour la démocratie et, comme l’a souligné Mme Lakshmi Puri, «si un système politique néglige la participation des femmes, s’il se soustrait à ses responsabilités vis-à-vis des droits de la femme, il manque à son devoir vis-à-vis de la moitié des citoyens». Il reste que la femme est confrontée à une série de contraintes qui expliquent leur très faible taux de participation au niveau des gouvernements, des Parlements et de la démocratie locale. Entretien.
Le Matin : Vous avez participé à un débat lors de l’ouverture du Sommet mondial des dirigeants locaux et régionaux, organisé à Rabat, sur le thème «Imaginer la société, construire la démocratie». Quel a été votre message ?
Lakshmi Puri : Mon message a été le suivant : nous ne pouvons pas imaginer une société juste, pacifique et harmonieuse sans la participation pleine et égale des femmes à la vie publique. Sans la réalisation des droits humains pour les femmes, il ne peut y avoir de paix et de développement durable. Nous savons que les démocraties sont plus fortes lorsque les femmes sont des actrices à part entière des processus démocratiques. La pleine participation des femmes au processus décisionnel à tous les niveaux (local, national et mondial) est une question de droits humains et de justice. Leur pleine participation signifie leur pleine citoyenneté.
Pourtant, beaucoup de femmes à travers le monde continuent à être exclues de la vie publique. Par exemple, sur les 193 pays membres des Nations unies, seuls 16 ont une femme Chef d'État ou de gouvernement. 21,7% des parlementaires dans le monde sont des femmes et environ 35 Parlements nationaux ont 30% ou plus de femmes (juin 2013).
De façon plus générale, les femmes se voient encore refuser le droit d’être représentées dans les instances de prise de décision, le droit de posséder des terres, d'obtenir des prêts ou de recevoir une éducation. Confrontées à de nombreux obstacles et à des attitudes profondément enracinées, elles sont bien souvent marginalisées, ce qui limite l'efficacité de la planification et de la budgétisation du développement et l'établissement de politiques adéquates au niveau local. Or la participation des femmes dans la démocratie locale est indispensable pour une gouvernance effective et efficace.
Quelles sont les actions à mettre en place pour accroître la participation des femmes à la gouvernance locale et à la démocratie ?
Deux interventions sont nécessaires. Tout d'abord, les mesures temporaires spéciales, ou des quotas, sont essentiels. L'expérience montre que c’est le seul moyen de corriger le déséquilibre historique entre hommes et femmes dans la participation à la vie publique. En Inde, par exemple, un tiers des sièges dans les conseils locaux, ou Panchayats, sont réservés aux femmes. Des études montrent que les femmes ont contribué à un véritable changement dans leur communauté en mettant en avant des questions qui leur tiennent à cœur. Mais bien sûr, les quotas seuls ne fonctionnent pas. Il faut aussi accompagner les femmes leaders et leur fournir un soutien.
ONU Femmes est mobilisée à tous les niveaux afin d'améliorer le leadership des femmes et leur participation politique. Nous travaillons avec la société civile pour plaider en faveur de la réforme des lois, notamment les lois électorales. Nous contribuons, également, au renforcement des capacités des femmes élues. Nous menons des recherches et nous travaillons avec les médias, les gouvernements et d'autres acteurs afin de changer les normes, les pratiques et les stéréotypes discriminatoires qui subsistent encore à travers le monde.
Nous sommes en train de développer, avec Cités et gouvernements locaux unis (CGLU), des projets spécifiques pour renforcer la participation des femmes dans la politique locale, faire en sorte que la gouvernance territoriale soit davantage sensible aux besoins spécifiques des femmes et mettre fin aux violences contre les femmes et les filles. Au Maroc, nous avons développé un solide partenariat avec le ministère de l'Intérieur sur le renforcement des capacités des femmes élues locales en matière de leadership. En parallèle, ONU Femmes travaille avec la société civile pour la mise en œuvre des nouvelles dispositions constitutionnelles relatives à la participation politique des femmes et l’intégration du principe de parité dans la future loi électorale.
Au cours de votre visite au Maroc, vous avez eu l’occasion d’échanger sur la situation des droits des femmes au Maroc avec le Chef du gouvernement et d’autres ministres. Que pouvez-vous nous dire sur la question de l’égalité hommes-femmes au Maroc ?
Au Maroc, des avancées significatives ont été réalisées ces dernières années en matière d’égalité hommes femmes, avancées qui ont été consacrées par la nouvelle Constitution du Royaume de 2011. Cette Constitution prévoit l’égalité entre les hommes et les femmes des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental et a été adoptée par référendum par une forte majorité de la population. Ceci démontre l’existence d’un véritable consensus sur la question de l’égalité entre les hommes et les femmes dans le pays. Nous nous devons désormais de faire de l'égalité hommes-femmes et de l'autonomisation des femmes une réalité concrète et tangible pour toutes les femmes du Maroc. Je sais que de nombreuses initiatives ont été prises dans ce sens, et notamment le Plan gouvernemental pour l’égalité, qui constitue un outil clé permettant d’avoir une vision globale et une approche transversale. En mettant en œuvre rapidement l’ensemble de ces dispositions, le Maroc pourra servir de véritable modèle en matière de promotion de l’égalité des sexes dans la région et sur le continent.